Harmonicorde et antiphonel Debain de 1863

Il y a un peu plus d'un an, j'ai été l'heureux acquéreur d'un ensemble rare comprenant un harmonicorde et un antiphonel avec une douzaine de jeux de plaques.
J'ai attendu que tout soit restauré et en bon état avant de le présenter ici.

L'harmonicorde porte les numéros 7552 (à gauche du meuble) et 13795 (sur le plan de cordes). La date de 1863 est gravée sous la première touche.

Je reviendrai parler de ce bel instrument. Je consacre ce premier message à l'antiphonel :

Il porte, lui aussi, deux numéros : 7746 dessous et 13829 sur son flan gauche. Tout laisse à croire que l'ensemble a été acheté en même temps et l'harmonicorde est équipé des supports spéciaux pour le fixer.
En fait, je pensais pouvoir l'essayer sur un autre harmonium, mais les dimensions du clavier de l'harmonicorde, et donc de l'antiphonel, sont de 85 cm pour les cinq octaves, alors que la plupart sont à 83.5 cm ! Et il se trouve que 85 cm, c'est la dimension des cinq octaves (plus une note) sur les pianos !

Les plaques sont pour la plupart en bon état. Elles reflètent quelques aspects de l'époque :

16    Les perles (les pêcheurs de perles de G. Bizet, 1863 ??)
116  Veni creator
251  Originale varsoviana
282  Luisella
285  de (ou 9e) Chopin ??
286  Hermance
348  Le domino noir (Daniel-François-Esprit Auber1837)
455  Guillaume Tell, romance de Mathilde (Rossini 1829)
518  La chanson de Fortunio (Offenbach 1861)
526  La chatte merveilleuse (Albert Grisard 1862)
593  Brise du Léman

(les numéros sont ceux qui figurent sur les plaques et donnent peut-être une indication du nombre de pièces mises en plaques)

Quelques photos de cet objet un peu étrange :






Vue de dessous:


Système d'entrainement originel (je suppose) par double cliquet :


La manivelle, plus sûre, plus silencieuse et plus commode semble avoir été ajoutée après (on voit ici une plaque en position de lecture) :








Et maintenant, petit transport sur un champ de foire, quelques enregistrements de "La chatte merveilleuse" obtenus grâce à cette machine... et qui vous permettront d'entendre un peu les différents jeux de l'harmonicorde :

d'abord jeu 1, puis la même chose avec jeu 4
1ère partie - jeux 1 + 4
2ème partie - avec Grand  Jeu
3ème partie - Jeux 2 + 3
4ème partie - Dolcé à gauche, 1 à droite
5ème partie - 1 à gauche ; 0-4-1 à droite

Superbe, quel travail et quelle inventivité pour l'époque !

Bravo Dominique !

Amicalement, Jean-François

Bravo Dominique, pour cette restauration !
Et merci pour les photos et les extraits.

Les enregistrements numériques ont quelque peu progressé depuis, mais pour l'époque, ce devait être déjà très avancé.
On attend la suite avec impatience !

Merci Jean-François et Mathieu !

Je reviens donc sur la présentation générale de l'harmonicorde... tout de même plus intéressante !

Pour ceux qui ne connaîtraient pas, je précise juste que cet instrument inventé par Debain a été présenté pour la première fois en 1855. Il ne s'agit pas d'un piano-harmonium (ça existe aussi), mais d'un harmonium (ici un 5 jeux 1/2 classique) avec un plan de cordes, unicorde, actionné par le même clavier. Il y a donc deux tirants supplémentaires, Cordes des Basses et Cordes des Dessus, qui peuvent être tirés, ou non, exactement comme tous les autres jeux. Le but n'est pas de rivaliser avec un piano mais d'ajouter un son de corde à ceux de l'harmonium.

Le meuble, plaqué en palissandre, est de forme sobre mais très beau.

Les jeux d'harmonium sont très "verts"... comme tu l'as si bien dit, Mathieu, quand tu l'a essayé, encore sans les cordes. Mais c'est certainement plutôt dû à la période (1863) qu'une caractéristique de l'harmonicorde.
Les cordes seules sonnent évidemment beaucoup moins fort qu'un piano avec ses deux ou trois cordes par note. Elles font penser plutôt à un piano-forte.
Associées, en particulier aux jeux de 8', je dirais qu'elles les adoucissent avec bonheur, peut être par le simple fait du contraste entre la note frappée et son prolongement par l'anche. Mais ce n'est que mon impression et j'attends (avec impatience !) un avis plus autorisé.

Quelques particularités :

Le clavier est beaucoup plus bas que sur un harmonium équivalent, de presque 10cm, peut-être pour laisser la place à la mécanique des cordes. Il en résulte que les pompes ont un peu moins d'amplitude, et un peu moins d'efficacité.

La genouillère de droite actionne le Grand Jeu (Basses et Dessus), tandis que celle de gauche annule les étouffoirs, comme la pédale de droite du piano.

Les anches verticales (Dolcé, Musette et Voix Céleste) ne sont pas montées directement sur le bois, mais sur une épaisseur de peau. Je pensais que cela donnerait des sonorités plus douces... mais non !

Et quelques photos :






Le tirant des Cordes des Basses avec son symbole... de cordes. Et le support spécial pour l'antiphonel.
Petit détail amusant, La "Contrebasse" est une combinaison du Dolcé et du Basson : 4 + 6 = 10 !!











A cause de la mécanique des cordes, les commandes des jeux ne pouvaient pas être situées à l'arrière comme sur la plupart des Debain, mais entre les jeux avant et les jeux arrière, comme chez Alexandre ou Mustel. De même, les touches portent directement les soupapes arrière, avec un prolongement supplémentaire qui fait office de léger abrégé et portant un pilote de réglage poiur la frappe des cordes.



Je reviendrai sur quelques moments de la restauration... une grande aventure à vrai dire ! Mais juste deux photos pour indiquer d'où on est parti :

Bravo ! Quelle chance que cet ensemble rarissime soit tombé dans de si bonnes mains ! Je pense effectivement que la "verdeur" des anches correspond à l'époque ; il faudra entendre ce que ça donne dans une acoustique généreuse. Je possède un harmonium Debain de la même époque qui possède le même meuble (sauf les genouillères qui sont ajourées), hormis la rehausse du plan de cordes. Malheureusement, je ne peux pas le faire sonner pour l'instant, car le sommier est fissuré .

Concernant l'harmonicorde, je suppose que vous connaissez celui de Pascal Auffret, que j'ai eu la chance d'apprécier lors des congrès de "l'harmonium français" : c'est vraiment un instrument magnifique, qui n'a pas d'équivalent, car c'est tout à fait autre chose que les pianos-harmoniums. On se situe quelque part entre l'harmonium à percussion et l'harmonium-célesta et il suffit d'écouter les enregistrements des Suites de Lefébure-Wély pour comprendre la pertinence du concept ; quel dommage que le répertoire soit si peu étendu...

Quant à l'antiphonel, voici enfin la preuve que ce système constituait une alternative crédible aux cylindres, car je suppose que les imperfections rythmiques que l'on perçoit par moments sont dues à l'usure des plaques. Cet ensemble de plaques apporte un témoignage précieux sur l'interprétation de cette musique et le répertoire en usage à l'époque au salon. Je suppose, vu que l'ensemble paraît avoir été acheté en un lot, que les cordes étaient également utilisées avec ce système. D'autre part, "l'opérateur" peut-il varier le tempo de manière sensible ?

Merci beaucoup pour ce partage...


Jean-François

Merci Jean-François pour vos commentaires amicaux et pertinents !

Je pense aussi qu'une acoustique généreuse serait plus que jamais nécessaire pour cet instrument. Ce n'est malheureusement pas le cas de mon atelier !

Quant à la maigreur, réelle, du répertoire... rien n'empêche d'ajouter un peu de cordes dans certaines œuvres pour harmonium 'simple'. Certains, et pas des moindres, l'ont fait avec le célesta ! Alors pourquoi pas !

Je voudrais apporter quelques précisions sur les enregistrements de l'antiphonel.
Les imperfections rythmiques sont effectivement quelquefois dues à l'usure des plaques... mais le plus souvent à l'opérateur, c'est à dire moi-même. En fait, jouer carrément de l'harmonium n'est peut-être pas plus difficile que de manier cet instrument, particulièrement quand il faut engager la plaque suivante, puisqu'il y a plusieurs plaques pour la même pièce, ou partie de pièce, sans cesser de pomper et de tourner la manivelle dans une position très inconfortable ! On devrait déjà faire mieux à deux !
Cela répond indirectement à votre question : l'opérateur est entièrement maître (bon ou mauvais) du tempo, car il n'y a aucun autre système de régulation, contrairement par exemple aux pianos pneumatiques où le tempo est réglé par une manette agissant sur le débit d'air, indépendamment de la façon dont on pompe pourvu que ce soit suffisant.

J'ai juste évoqué par une photo le système "originel" d'entraînement par double-cliquet. Ce double-cliquet est actionné par le levier visible sur la photo, que je remets ci-dessous. Lorsqu'on baisse le levier, le cliquet du bas pousse d'un cran la roue dentée, pendant que le cliquet du haut saute à la dent suivante, de sorte qu'en relevant le levier, c'est le cliquet du haut qui pousse la roue dentée... et ainsi de suite. C'est ingénieux et je pense que l'idée était d'avancer à chaque fois "d'un temps", ou d'une fraction de temps, comme si on battait le tempo. Mais ça ne fonctionne pas très bien, c'est très bruyant et il y a des ratées.




Et les cordes avec l'antiphonel ? J'espérais bien pouvoir vous les faire entendre comme les jeux de l'harmonium. Peut-être était-ce possible avec l'instrument neuf ? J'en doute un peu, et en tout cas cela ne fonctionne absolument pas maintenant car pour actionner les cordes, il importe d'enfoncer bien entièrement les touches, ce qui n'est pas le cas de l'antiphonel. En effet, j'ai été,  obligé de le caler de chaque côté du clavier pour qu'il n'y ait pas de cornements au repos, et dans ces conditions il n'appuie pas suffisamment sur toutes les touches pour que les cordes soient réellement audibles.
De plus, vous avez sans doute remarqué dans l'enregistrement avec le Dolcé, moins fort, qu'on entend beaucoup la mécanique de l'antiphonel. Avec les cordes, outre les notes manquantes , on n'entend plus que la mécanique !

Pour conclure, je dirais qu'à mon très humble avis, ce mécanisme n'était pas très performant. Je suis pourtant admiratif de l'ingéniosité de Debain en général. Cela n'enlève rien à l'intérêt historique de la chose. Je tiens à préciser aussi que j'ai choisi volontairement de ne pas passer trop de temps sur l'antiphonel, aux qualités musicales réduites, pour en passer beaucoup sur l'harmonicorde !

Donc, même si je trouve également que Debain était un inventeur remarquable, on peut penser que l'antiphonel était un dispositif inutilement compliqué, par rapport au cylindre,qui était parfaitement au point depuis des dizaines d'années (cf Dom Bédos...).

Bah ! ... je ne dirais pas les choses comme ça !
L'antiphonel est peut-être plutôt trop simple ! Je pense en disant cela aux systèmes pneumatiques lecteurs de rouleaux de papier, d'un raffinement sans commune mesure. Quant aux cylindres, je ne les connais pas bien.

L'avantage des plaquettes linéaires par rapport aux cylindres est à mon sens qu'on peut répéter des passages t les enchaîner, alors que le cylindre ne permet que ce qui y est encrypté.
On peut à la limite les repasser indéfiniment, alors que le cylindre a une durée finie et non modulable.
Mais en effet, cela reste très limité par rapports aux complexités des Pianos Duo Art, et autres Ampico.

„Petit détail amusant, La "Contrebasse" est une combinaison du Dolcé et du Basson : 4 + 6 = 10 !!“

Si vous utilisez la Contrebasse, est-ce le même son que si vous utilisiez 4 et 6 ensemble, ou y a-t-il un effet spécial (comme dans "saxophone", "soprano" etc.)?
Curieux que la Contrebasse soit 8´ - je m'attendais à un 16´!


If one uses the Contrebasse, is it the same sound as if one uses 4 and 6 together, or is there a special effect (like in „saxophone“, „soprano“ etc.)?

Strange that the Contrebasse is 8´ - I would have expected a 16´ rank!

Oui, la Contrebasse, sur cet instrument, est exactement 4 + 6 (Dolcé), sans aucun effet spécial.
La raison de cette combinaison est peut-être simplement de mettre le même nombre de tirants à gauche et à droite !

Merci! J'ai vu un instrument similaire récemment et je ne pouvais pas comprendre l‘utilité de ce jeu...

Je mets la suite, concernant la restauration, dans la rubrique faite pour ça !

Bravo Dominique ! Voilà une double restauration qui permet d'ajouter au parc instrumental et à la connaissance de cette facture si particulière !