J'ai accepté début novembre de restaurer le sommier d'un Mustel de 1897 pour un ami.
L'instrument jouait un peu, mais avec des emprunts partout entre les jeux et parfois entre les notes.
Ce n'était pas une mince affaire.
Il a déjà fallu retirer toutes les anches, dont beaucoup de vis étaient tellement oxydées qu'il n'y avait plus forme de pas dessus. Elles ressemblaient plus à des clous vaguement ondulés. Un certain nombre a cassé.
Dessous, surprise : beaucoup d'anches d'origines avaient déjà été cassées par un précédent facteur d'orgues, qui a tenté de réparer l'instrument. Notamment à coup de pointes dans le sommier... Sans grand résultat, on s'en doute.
Surprises suivantes : en plus de fentes et de décollements de la table supérieure, les tables sous les anches du rang N°1 et des dessus du N°2 étaient aussi décollées.
Dessus du N°2
Table inférieure des dessus du N°1
Il a donc fallu commencer par Marquer l'emplacement exact des vis cassées, en extraire 180 avec une perceuse et des goupilles-ressort, ou un outil spécial à base de tube d'acier inox pour les vis dans les coins ou montées verticalement. Puis percer proprement à 4 mm pour pouvoir y insérer et coller les tourillons prédécoupés. Marquer l'emplacement des vis, pré-percer et ensuite poncer tout à plat au papier 120.
Ensuite recoller les tables supérieures et inférieures, où cela était nécessaire.
J'ai pour cela acheté un gros serre-joint d'occasion, mais j'avais un peu sous-estimé la taille sur l'annonce. Il doit peser au moins 20 kg!
Mais il est efficace.
Recoller tout ça proprement sans atelier, sans aide, ça a été sportif et parfois un peu cochon. J'avais anticipé et bien protégé les surfaces avec du scotch de peintre, pour éviter les traces de colle autant que possible.
Une fois cet épisode un peu poisseux passé, et les débouchés nettoyés, il a bien fallu rentrer dans dur : les fentes dans la table supérieure.
J'ai utilisé une défonceuse et des fraises pour des tranchées rectilignes de 1 et 2 mm, et inséré du filet de hêtre. Il a fallu 50 flipots de ce genre en tout.
Poncé plat, limé pour ne plus déborder des débouchés, poncé fin à 240 et 400. "Poncé plat", c'est vite écrit, mais moins vite fait, car rien n'est plus vraiment plat ni droit sur ce sommier... J'ai dû me résigner à un "localement plat" sinon il aurait fallu retirer 2mm de la plupart de la surface pour compenser certains creux, là où il n'y a pas d'anches.
On peut admirer les pointes de la précédente tentative de réparation. Par endroits elles ont éclaté la surface du bois en sortant, laissant des cratères très proches des débouchés qu'il m'a fallu combler à la pâte à bois.
Intérieurement, puisque Mustel n'utilisait pas de vernis, il faut vraiment que la surface sous les anches soit plane. Pas de petite tolérance avec l'élasticité du vernis comme chez Alexandre et autres. Donc ponçage au 120 avec une cale rectifiée contre la semelle d'un rabot. Ce fut probablement le plus pénible. Comme pour le dessus, plus rien de vraiment droit, et pas tellement de marge de manoeuvre. Mais après quelques heures à transpirer dessus, le résultat devrait être suffisamment plat pour assurer une bonne étanchéité sous les anches. Ensuite, ponçage au 240 puis au 400.
Enfin, la fente à l'arrière. Pudiquement cachée sous un scotch de peintre par le précédent facteur d'orgues, une fente de deux ou trois millimètres dans le coin des dessus du N°4. Tout a tellement bougé que ce côté du sommier est 3mm plus long que celui des basses. Et le bord de la table 1mm plus long que celui des basses. La planche arrière cintrée, etc.
Bref, j'ai employé une fraise de 4mm sur la défonceuse, mis des guides dans tous les sens pour limiter les risques de dérapage, et creusé avec la peur au ventre. Mais tout s'est bien passé, j'ai posé une barrette de hêtre de 4mm de large et bourré de colle pour que cela diffuse dans les assemblages voisins (plus tellement collés pour certains).
J'ai enfin remplacé les deux horribles rondelles de cuir mauve collées à la vinylique sur les passage d'air des Forte Expressifs par le système habituel Mustel, rondelle de feutre et rondelle de mégis.
J'ai décidé que je mettais là le point final à ce travail, parce que je commençais à saturer.
C'est fini, et comme dit la vieille publicité :
"... et c'est tant mieux, parce que j'f'rais pas ça tous les jours !"L'instrument sera remonté chez son propriétaire en janvier, crise sanitaire oblige. Espérons que mon intervention aura été efficace.