Je m'excuse pour ceux qui connaissent cela et/ou qui ont la chance de posséder de tels instruments, ce post a pour vocation d'expliquer aux personnes qui ne connaissent pas encore cette facture instrumentale si particulière.
L'harmonium d'art (ou Kunstharmonium, en anglais
the Kunstharmonium) est l'aboutissement des recherches technologiques entreprises par les différents facteurs, avec l'éviction des systèmes les moins intéressants d'un point de vue musical (Mustel a banni toutes les formes de trémolo mécanique). Il est admis que la mise au point de l'harmonium d'art revient à la maison Mustel de Paris, bien que des instruments d'art soient signés en France par Alexandre, Bildé, Dumont-Lelièvre, Richard, Rousseau et en Allemagne par Mannborg et Schiedmayer.
Il se caractérise par un certain nombre d'accessoires qui en amplifient les possibilités interprétatives et des sonorités qui lui sont propres.
Comme tous les harmoniums foulants, l'ambitus du clavier est de 5 octaves, soit 61 notes, de C à c'''', avec une coupure entre e' et f'. Les basses couvrent 29 notes et les dessus 32 notes. La particularité de l'harmonium d'art est de considérer le clavier non pas dans son ensemble, mais comme deux demi-claviers ayant, par le truchement des registres, une tessiture comparable.
De ce concept de base découle l'une des inventions les plus importantes : la double expression. Dans les harmoniums "simples", l'expression se fait par le pédalage, à condition qu'on coupe l'accès du vent au régulateur (lorsqu'on tire le registre "expression"). De ce fait, le moindre mouvement exercé sur l'une des pédales se transmet aux anches et permet de moduler le son comme le ferait un violoniste avec son archet (on peut faire de sforzandos, des forte-piano, des tremblements du son et même des trémolos). Cependant, les nuances s'appliquent de manière uniforme à tout le clavier (ce qui est d'autant plus gênant, que comme toutes les anches, les graves sont plus forts). La double expression, système mécano-pneumatique à soupapes compensées, permet, selon le souhait de l'interprète, de moduler du PPP au FFF la pression indépendamment, pour les basses et/ou les dessus. Ainsi, si l'on met tous les jeux de basses sur un accord très fourni contre une seule note d'un jeu doux pour les dessus, la double expression permet de faire ressortir la note des dessus, sans que l'alimentation des anches graves en pâtisse et que les basses soient écrasantes. Ce système permet donc une plus grande malléabilité de nuances et surtout d'équilibrer des mélanges de registrations tout à fait impossibles autrement. La double expression est contrôlée par les genouillères : à un angle inférieur à 90° par rapport au meuble, la nuance est comprise entre PPP et P, à 90° elle est mF, au-delà, elle va du F au FFF. Son efficacité dépend au préalable de la maîtrise de l'expression simple (son rendement est quasi nul si le registre "expression" n'est pas tiré).
La percussion (inventée par Alexandre MARTIN, dit "Martin de Provins") est un système qui n'agit que sur les 2 demi-registres n° 1 (cor anglais 8'/flûte 8 ). Quand on tire ces registres (on peut également appeler les n° 1 sans la percussion), un système de marteaux, comparable à celui du piano, s'intercale entre les touches et les anches. Dès que les touches du clavier son effleurées, le système lance de petits marteaux recouverts de feutre sur les anches idoines. Les anches démarrent alors immédiatement, avantage particulièrement appréciable dans les basses. De plus, on peut faire ressortir la percussion par rapport au son des anches, rapprochant ainsi le jeu de celui du piano. La percussion ajoute une légère transitoire d'attaque particulièrement intéressante dans le jeu rapide et staccato.
Le prolongement est un système mécanique qui affecte la première octave grave du clavier. Quand on tire ce registre, un barre se place sous le clavier, de sorte que lorsqu'une (ou plusieurs) touche est enfoncée, elle reste maintenue jusqu'à ce qu'une (ou plusieurs) autre soit jouée. Ce système peut être annulé selon la volonté de l'interprète par l'enfoncement latéral d'une talonnière (souvent la talonnière gauche). Dès que la talonnière est relâchée, le système se remet en fonction. Ainsi certaines notes de basse peuvent être tenues comme des pédales d'orgue ou plutôt à la manière de la pédale "harmonique" du piano à queue (seconde pédale). Une utilisation habile de ce mécanisme, avec une registration appropriée permet d'élargir considérablement les possibilités musicales de l'instrument.
Le forte expressif est un système mécano-pneumatique qui va renforcer l'expression de l'instrument. Quand il est enclenché (un pour les basses, un pour les dessus), des volets horizontaux, comparables à ceux d'une boîte expressive d'orgue, sont mis en action par un soufflet qui s'ouvre plus ou moins selon la pression emmagasinée dans la soufflerie (expression simple et double expression). Plus on pompe fort et plus on ouvre les genouillères, plus les volets s'ouvrent. Comme l'ouverture et la fermeture des volets accompagne précisément les nuances de la soufflerie, l'effet est non seulement très efficace, orchestral, mais aussi d'un rendu très musical.
Des forte fixes existent également, et agissent sur les volets cités plus haut de manière analogue à celle des harmoniums simples (le registre tire le mécanisme d'ouverture et ne permet que les positions ouvertes et fermées).
Les forte (expressifs ou fixes) n'agissent en principe que sur les registres "de l'arrière" du sommier (3, 4, 5, 7 et 8 ). Les registres "de l'avant" sont les 1, 2 et 6 et parlent directement sous le clavier.
Les métaphones (un pour les basses, un pour les dessus, littéralement "qui changent les sons") agissent sur les registres "de l'arrière". Quand les tirants métaphone sont repoussés, de petits volets (juste au-dessus des soupape de notes) recouverts d'une matière "opaque" d'un point de vue sonore sont ouverts et ne gênent pas l'émission des sons. Quand on tire les métaphones, on ferme ces petits volets et les sonorités tranchantes des jeux "de l'arrière" sont alors considérablement atténuées et se rapprochent de la sonorité des jeux "de l'avant", d'une grande douceur. Les métaphones donnent aux jeux qu'ils modifient un timbre lointain et éthéré, particulièrement sur les ondulants.
Les registres propres à l'harmonium d'art et leur description. Outre les registres 1, 2, 3 et 4 qu'on trouve dans les harmoniums standards, l'harmonium d'art s'enrichit de timbres particuliers. La plupart ont été mis au point par la maison Mustel.
Dans les basses, le 5 Harpe éolienne 2' (2 rangs). Ce jeu est constitué de deux anches par note, l'une légèrement haute, l'autre légèrement basse, afin que la résultant soit en 2' et qu'on puisse mélanger le jeu à d'autres sans avoir de désagréable impression de fausseté. Les anches en sont très fines afin d'obtenir un son ondulant éthéré très proche des cordes.
Le 6 contrebasse 16', peut soit être l'emprunt de la première octave du 2 (Bourdon 16') pour l'utilisation en basses du prolongement. Dans certains cas, le 6 est un jeu autonome.
Dans les dessus, le 5 Musette 16' est à l'octave grave du 4 hautbois 8' et en complète le timbre. C'est un excellent jeu de solo. Le 6 Voix céleste 16' (2 rangs) est construit sur le principe de la Harpe éolienne des basses, mais avec des anches comparativement plus large. Elle est d'une sonorité douce et pure. Le 7 Baryton 32' est à l'octave grave de la Musette 16' et la complète, avec un timbre légèrement plus large. Très bon jeu de solo, il permet des effets très orchestraux (32'-4', 32'-8' joués à l'octave aiguë ou à la double octave aiguë). Il permet aussi de jouer des accompagnements graves et chargés à la main droite, alors que la main gauche fait le solo (on comprend alors l'intérêt de la double expression !).
Le 8 Harpe éolienne 8' (2 rangs) est identique à celle des basses dans sa construction.
Cette disposition peut paraître déroutante (2' dans la basse, 32' dans les dessus...), mais s'explique par la conception en 2 demi-claviers ayant chacun les mêmes possibilités timbrales et de hauteurs sonores. On peut évidemment utiliser le même timbre sur tout le clavier (comme on le ferait sur un harmonium simple), mais les combinaisons rendues possibles par les demi registres propres à l'harmonium d'art en démultiplient à l'infini les combinaisons et les effets. Dans les partitions, les registrations d'harmonium d'art sont indiquées par des numéros (comme pour l'harmonium simple), mais encadrés de carrés (et non de ronds).
Disposition d'un harmonium d'art :
Clavier (en bas, C-c'''') coupure entre e' et f'
BASSES
Pr prolongement (sur C-H)
Mét Métaphone
F Forte fixe
0 Forte expressif
6 Contrebasse 16 (jeu doux s'il est réel (très rare, apparemment pas chez Mustel dans les instruments classiques), sinon emprunt de C-H du 2)
5 Harpe éolienne 2 II (son éthéré et ondulant des cordes)
4 Basson 8 (son émouvant, tendu à la manière du violoncelle)
3 Clairon 4 (clair limpide, lumineux sans être agressif)
2 Bourdon 16 (son ample, rond, à la manière des cors et des tubas)
1 Cor anglais 8 (son doux, un peu fort et nasal)
1P Percussion et Cor anglais 8 (imite le cymbalum)
Expression
Grand Jeu (1P 2 3 4 basses et dessus)
DESSUS
1P Percussion et Flûte 8 (cymbalum)
1 Flûte 8 (son rond, légèrement voilé)
2 Clarinette 16 (son puissant mais un peu émoussé)
3 Fifre 4 (son pointu, un peu blafard)
4 Hautbois 8 (son de violon, très expressif)
5 Musette 16 (son noble, très chantant)
6 Voix céleste 16 II (son trémulant, cordes avec sourdines)
7 Baryton 32 (son ample, jeu de solo très important)
8 Harpe éolienne 8 II (son éthéré, un peu tranchant)
F Forte fixe
0 Forte expressif
Mét Métaphone
Genouillères pour la double expression
Talonnière gauche pour annuler l'effet du prolongement
Talonnière droite pour appel/retrait du Grand Jeu (1P 2 3 et 4 pour les basses et dessus)
Tous les jeux peuvent être ajoutés au grand jeu (y compris les ondulants).
Certains instrument sont encore pourvus d'un clavier (toujours celui du haut) de célesta (autre invention de Mustel) ayant pour tessiture c-c'''' (49 notes). La première octave est en accouplement permanent I/II. Dans les orgue-célestas Mustel, l'accouplement des claviers se fait toujours dans le sens I/II.
Un Kunstharmonium Mustel de 1908.
Un Kunstharmonium avec célesta Schiedmayer, modèle "Dominator" de 1929.
En espérant que ce petit exposé vous intéresse... parce que l'harmonium n'est pas une immonde pompe à psaumes, parce que son répertoire de concert est remarquable et qu'il y a énormément d'instruments à sauver.